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Il y aurait bien des choses à dire à ce sujet (tellement, en fait, que je risque d'y passer la journée…). Je me contenterai de cette remarque : en France, le formalisme (musical, pictural, littéraire, etc.) des années 1950 et 1960 tend à concevoir la forme non seulement comme métaphore géométrique et spatiale mais aussi comme langage à part entière. « Tout n'est que forme » signifie alors que tout est langage. Il semblerait par conséquent que nous ayons affaire à une surenchère d'intelligibilité (du moins si l'on définit le langage comme vecteur de communication, ce qui me paraît discutable, mais passons…). Or du fait même de cette surenchère, de cet excès, de cette surabondance, de ce débordement, on finit toujours par passer de l'autre côté du schéma structuraliste, là où la forme ne parvient plus à se maintenir et se défait d'elle-même (d'où l'avènement de la déconstruction à la fin des années 1960).
Ce n'est donc pas un hasard si les modèles de Boulez (et de Barraqué, qui fut l'amant de Foucault…) sont poétiques et langagiers (Mallarmé, Char, Breton, cummings, Broch, etc.). Cela dit, du fait de leur complexité accablante, les œuvres issues de ce dialogue (Le marteau sans maître, Pli selon pli, Livre pour cordes, Le Temps restitué, etc.) emportent presque toute forme d'intelligibilité linguistique sur leur passage et, ce, davantage que les textes poétiques qui leur servent d'inspiration, y compris les plus « difficiles ». Je force un peu le trait à dessein, mais dans de telles partitions, la référence langagière n'est là que pour être abolie (fût-ce à l'insu du compositeur), ce qui va à l'encontre non seulement d'un Rameau ou d'un Gounod, voire d'un Debussy, mais aussi et surtout de la musique populaire française des années 1950 et 1960 (et au-delà), qui n'hésite jamais à mettre les paroles – même les plus surréalistes (voir Brigitte Fontaine) – au premier plan.
Autrement dit, le formalisme que Foucault décèle chez Boulez (entre autres) est si hyperbolique dans son désir de discursivité et d'intelligibilité qu'il n'a d'autre choix que de se retourner contre lui-même. Valéry, paraphrasant Mallarmé, parlait de « reprendre à la Musique leur bien » (celui des poètes), soulignant ainsi la rivalité mimétique qui échoit en partage à la poésie comme à la musique. Boulez, sous couvert d'un rapprochement avec d'éventuels alliés littéraires, tente au contraire de reprendre à la Poésie son bien pour mieux la subsumer (ce qui m'arrange bien, soit dit en passant !).
Mais, encore une fois, je ne pense pas que de tels débats esthético-philosophiques aient eu une forte incidence sur la musique populaire française de cette époque, qui me semble encore plus compartimentée que ce qui se faisait en Angleterre ou aux États-Unis. En France, il y a toujours la musique d'art d'un côté et la musique de variétés, de l'autre, et les musiciens « pop » les plus sophistiqués tendent à mettre le paquet sur les paroles, au détriment du reste. C'est un peu caricatural comme analyse, mais bon…
― pomenitul, Tuesday, 19 November 2019 12:40 (two years ago) link
Non, je te remercie, tes commentaires sont fascinants et ça fait du sens, de comprendre cette conception de la forme sur le plan de langage tout court. Donc, quand Boulez s'engageait à la contrôle rigoureux des tous les paramètres musicaux avec le sérialisme intégral, il pensait encore peut-être de la musique en terme d'une langage et contrôlait les paramètres « linguistiques » de façon indépendante, ce qui pourrait enfin emporter l'intelligibilité linguistique, comme on dit ! Et son utilisation des méthodes aléatoires dans la troisième sonate aurait été peut-être conçu en termes très différents que les efforts comparables de Cage, qui lui a influencé. Ben, je me rappelle maintenant qu'on discutait dans les cours les modèles poétiques de Boulez - différents que les modèles visuels de Brown, par exemple. (Comme étudiant, j'ai essayé de lire Penser la musique aujourd'hui en français et en anglais mais, pour être honnête, je l'ai trouvé difficile en n'importe quelle langue. Je pense qu'il serait peut-être une bonne idée de l'essayer encore... ) Donc, bien, dans Le marteau, on trouve ces trois poèmes surréalistes mis en des mélodies qui travaillent contre l'intelligibilité simple, avec leurs commentaires instrumentaux hyper-complexes emmêlés l'un entre l'autre - et, oui, la poésie devient du son, de la musique.
T'as probablement raison à propos de la musique francophone qui est la plus populaire - mais ça pourrait être intéressant de considérer le métal et rock progressif francophone ... ?
― No language just sound (Sund4r), Friday, 22 November 2019 05:54 (two years ago) link
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