Métro, boulot, bistro, mégots, dodo, zéro

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Parce que c'est ma seconde langue, j'avoue que j'apprécie que la musique populaire francophone met une emphase sur l'intelligibilité !

Mais, comme par hasard, je lisais cet article de Foucault à propos de la musique de Boulez juste maintenant: http://1libertaire.free.fr/MFoucault286.html

(Pour être honnete, c'est la seule chose par Foucault que j'ai jamais lu.)

Bien que j'adore la musique de Boulez, chui pas d'accord avec sa haine pour le classicisme, ce que Foucault décrit ici. (Je pense que Boulez lui-même a modéré sa position en vieillant.) Mais je trouve la discussion du formalisme, et l'importance de la forme, un peu convaincant et peut-être un peu pertinent à tes commentaires, dans le mesure où le Marteau est un bon exemple d'un morceau dans lequel « la musique élaborait le poème qui élaborait la musique » .

On croit volontiers qu'une culture s'attache plus à ses valeurs qu'à ses formes, que celles-ci, facilement, peuvent être modifiées, abandonnées, reprises ; que seul le sens s'enracine profondément. C'est méconnaître combien les formes, quand elles se défont ou qu'elles naissent, ont pu provoquer d'étonnement ou susciter de haine ; c'est méconnaître qu'on tient plus aux manières de voir, de dire, de faire et de penser qu'à ce qu'on voit, qu'à ce qu'on pense, dit ou fait. Le combat des formes en Occident a été aussi acharné, sinon plus, que celui des idées ou des valeurs. Mais les choses, au XXe siècle, ont pris une allure singulière : c'est le « formel » lui-même, c'est le travail réfléchi sur le système des formes qui est devenu un enjeu. Et un remarquable objet d'hostilités morales, de débats esthétiques et d'affrontements politiques.

À l'époque où on nous apprenait les privilèges du sens, du vécu, du charnel, de l'expérience originaire, des contenus subjectifs ou des significations sociales, rencontrer Boulez et la musique, c'était voir le XXe siècle sous un angle qui n'était pas familier : celui d'une longue bataille autour du « formel » ; c'était reconnaître comment en Russie, en Allemagne, en Autriche, en Europe centrale, à travers la musique, la peinture, l'architecture, ou la philosophie, la linguistique et la mythologie, le travail du formel avait défié les vieux problèmes et bouleversé les manières de penser. Il y aurait à faire toute une histoire du formel au XXe siècle : essayer d'en prendre la mesure comme puissance de transformation, le dégager comme force d'innovation et lieu de pensée, au-delà des images du « formalisme » derrière lesquelles on a voulu le dérober. Et raconter aussi ses difficiles rapports avec la politique. Il ne faut pas oublier qu'il a vite été désigné, en pays stalinien ou fasciste, comme l'idéologie ennemie et l'art haïssable. C'est lui qui a été le grand adversaire des dogmatismes d'académies et de partis. Les combats autour du formel ont été l'un des grands traits de culture au XXe siècle.

No language just sound (Sund4r), Monday, 18 November 2019 17:14 (four years ago) link

*vieillissant

No language just sound (Sund4r), Monday, 18 November 2019 17:17 (four years ago) link

Il y aurait bien des choses à dire à ce sujet (tellement, en fait, que je risque d'y passer la journée…). Je me contenterai de cette remarque : en France, le formalisme (musical, pictural, littéraire, etc.) des années 1950 et 1960 tend à concevoir la forme non seulement comme métaphore géométrique et spatiale mais aussi comme langage à part entière. « Tout n'est que forme » signifie alors que tout est langage. Il semblerait par conséquent que nous ayons affaire à une surenchère d'intelligibilité (du moins si l'on définit le langage comme vecteur de communication, ce qui me paraît discutable, mais passons…). Or du fait même de cette surenchère, de cet excès, de cette surabondance, de ce débordement, on finit toujours par passer de l'autre côté du schéma structuraliste, là où la forme ne parvient plus à se maintenir et se défait d'elle-même (d'où l'avènement de la déconstruction à la fin des années 1960).

Ce n'est donc pas un hasard si les modèles de Boulez (et de Barraqué, qui fut l'amant de Foucault…) sont poétiques et langagiers (Mallarmé, Char, Breton, cummings, Broch, etc.). Cela dit, du fait de leur complexité accablante, les œuvres issues de ce dialogue (Le marteau sans maître, Pli selon pli, Livre pour cordes, Le Temps restitué, etc.) emportent presque toute forme d'intelligibilité linguistique sur leur passage et, ce, davantage que les textes poétiques qui leur servent d'inspiration, y compris les plus « difficiles ». Je force un peu le trait à dessein, mais dans de telles partitions, la référence langagière n'est là que pour être abolie (fût-ce à l'insu du compositeur), ce qui va à l'encontre non seulement d'un Rameau ou d'un Gounod, voire d'un Debussy, mais aussi et surtout de la musique populaire française des années 1950 et 1960 (et au-delà), qui n'hésite jamais à mettre les paroles – même les plus surréalistes (voir Brigitte Fontaine) – au premier plan.

Autrement dit, le formalisme que Foucault décèle chez Boulez (entre autres) est si hyperbolique dans son désir de discursivité et d'intelligibilité qu'il n'a d'autre choix que de se retourner contre lui-même. Valéry, paraphrasant Mallarmé, parlait de « reprendre à la Musique leur bien » (celui des poètes), soulignant ainsi la rivalité mimétique qui échoit en partage à la poésie comme à la musique. Boulez, sous couvert d'un rapprochement avec d'éventuels alliés littéraires, tente au contraire de reprendre à la Poésie son bien pour mieux la subsumer (ce qui m'arrange bien, soit dit en passant !).

Mais, encore une fois, je ne pense pas que de tels débats esthético-philosophiques aient eu une forte incidence sur la musique populaire française de cette époque, qui me semble encore plus compartimentée que ce qui se faisait en Angleterre ou aux États-Unis. En France, il y a toujours la musique d'art d'un côté et la musique de variétés, de l'autre, et les musiciens « pop » les plus sophistiqués tendent à mettre le paquet sur les paroles, au détriment du reste. C'est un peu caricatural comme analyse, mais bon…

pomenitul, Tuesday, 19 November 2019 12:40 (four years ago) link

Wow, on n'a pas besoin d'assister à des colloques universitaires lorsqu'on peut lire des telles publications ! Je vais réfléchir et répondre.

No language just sound (Sund4r), Tuesday, 19 November 2019 22:45 (four years ago) link

Désolé, je suis sujet à la déformation « professionnelle »…

pomenitul, Wednesday, 20 November 2019 10:07 (four years ago) link

Non, je te remercie, tes commentaires sont fascinants et ça fait du sens, de comprendre cette conception de la forme sur le plan de langage tout court. Donc, quand Boulez s'engageait à la contrôle rigoureux des tous les paramètres musicaux avec le sérialisme intégral, il pensait encore peut-être de la musique en terme d'une langage et contrôlait les paramètres « linguistiques » de façon indépendante, ce qui pourrait enfin emporter l'intelligibilité linguistique, comme on dit ! Et son utilisation des méthodes aléatoires dans la troisième sonate aurait été peut-être conçu en termes très différents que les efforts comparables de Cage, qui lui a influencé. Ben, je me rappelle maintenant qu'on discutait dans les cours les modèles poétiques de Boulez - différents que les modèles visuels de Brown, par exemple. (Comme étudiant, j'ai essayé de lire Penser la musique aujourd'hui en français et en anglais mais, pour être honnête, je l'ai trouvé difficile en n'importe quelle langue. Je pense qu'il serait peut-être une bonne idée de l'essayer encore... ) Donc, bien, dans Le marteau, on trouve ces trois poèmes surréalistes mis en des mélodies qui travaillent contre l'intelligibilité simple, avec leurs commentaires instrumentaux hyper-complexes emmêlés l'un entre l'autre - et, oui, la poésie devient du son, de la musique.

T'as probablement raison à propos de la musique francophone qui est la plus populaire - mais ça pourrait être intéressant de considérer le métal et rock progressif francophone ... ?

No language just sound (Sund4r), Friday, 22 November 2019 05:54 (four years ago) link

Automatic thread bump. This poll is closing tomorrow.

System, Wednesday, 27 November 2019 00:01 (four years ago) link

Automatic thread bump. This poll's results are now in.

System, Thursday, 28 November 2019 00:01 (four years ago) link

Ha, j'ai enfin voté pour « dodo » .

No language just sound (Sund4r), Thursday, 28 November 2019 03:32 (four years ago) link

J'ai entendu ce groupe montréalais sur une émission de rock progressif. Ils m'ont rappelé de ce fil alors que c'est un groupe de prog qui met fortement l'accent sur l'intelligibilité. Il y a encore un équilibre pas mal entre la musique et les paroles quand même:
http://mangeurdereves.bandcamp.com/album/histoires-lenvers

No language just sound (Sund4r), Wednesday, 11 December 2019 14:58 (four years ago) link

« Florent Schmitt : piano électrique »

Pseudo ou pas ? Hmmm…

pomenitul, Wednesday, 11 December 2019 16:11 (four years ago) link

three months pass...

Il est pas mal du tout cet album de Mangeur de Rêves

Dinsdale, Thursday, 2 April 2020 19:30 (four years ago) link

Hey, cool, je l'aime bien mais j'ai pas vu beaucoup de discussion nulle part. C'était qqch original.

Sund4r, Thursday, 2 April 2020 21:27 (four years ago) link

eight months pass...

J’ai changé d’avis.

Dog Heavy Manners (James Redd and the Blecchs), Tuesday, 29 December 2020 03:54 (three years ago) link

C'est quoi, ton avis actuel?

Sharp! Distance! (Sund4r), Saturday, 2 January 2021 20:33 (three years ago) link

Désolé, mais je l’ai déjà oublié.

Dog Heavy Manners (James Redd and the Blecchs), Sunday, 3 January 2021 17:51 (three years ago) link

Ha

Sharp! Distance! (Sund4r), Sunday, 3 January 2021 17:52 (three years ago) link


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